ÉTUDE
SUR LES
Luxations sous-aslracjaliennes anciennes
DIFFORMITÉS OU IXFIRMITËS Qu’eLLES ENTRAINENT
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LUXATIONS SOÜS-ASTRAGALIENNES
ANCIENNES
Difformités ou Infirmités qu’elles eulraîueut
INDICATIONS QU’ELLES PRÉSENTENT
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS,
19, rue Haulefeuille, près le boulerard Saiat-GermaiD.
Léon DU BOURG,
Docteur eu médecine de la Faculté de Paris.
1874
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LllMTIONS SOUS-ASTIIÂfiAlimES ANCIEIES
DIFFORMITÉS OU INFIRMITES Qu’eLLES ENTRAINENT
INDICATIONS QU’ELLES PRÉSENTENT
Au mois de novembre 1873, j’eus l’occasion d’observer,
dans ie service de mon excellent maître, M. le professeur
V^erneuil, un malade, dont je rapporterai plus loin l’his-
loire en détail. Telle a été l’orig’ine de l’étude que je me
propose de faire.
Cet homme venait à l’hôpital réclamer le soulag’ement
d’une douleur insupportable, continue, qui siég'eait au cou-
de-pied droit et dans toute l’étendue du pied. L’examen
de cette rég’ion et les renseig’nements précis que fournis-
sait le malade, dont les souffrances remontaient à treize
mois, firent porter le diagnostic suivant : Névrite intense
du nerf tibial postérieur^ déterminée par une compression de
ï astragale^ déviée en luxation sous-astragalienne ancienne {va-
riété interne).
Une opération paraissait très-nettement indiquée. Mais
à quel procédé accorder la préférence? C’est ce que l\J. le
professeur Verneuil nous exposa dans une leçon des plus
intéressantes et que. l’on peut résumer en deux traits prin-
cipaux ;
1“ Notre savant maître croit que la réduction des luxa-
— 6 —
lions soiis-astrag’aliennes a des conséquences malheu-
reuses ;
2° A son avis, X extraction de l’astrag*ale et des esquilles,
tardivement ^ïiVQC. la résection des malléoles, permet d’éviter
l’amputation, dont les résultats sont d'ailleurs désas-
treux (1).
Gomme on le verra dans la suite de ce travail, les résul-
tats de l’opération ont pleinement justifié cette manière
de voir, conforme, d’ailleurs, aux observations qui ont
été recueillies jusqu’à ce jour, tant en France qu’a l’é-
trang-er.
Cependant toutes les luxations sous-astrag’aliennes ne se
présentent pas avec le même cortég’e de phénomènes. C’est
pourquoi, nous le verrons dans la seconde partie de cette
étude, le même g'enre de traitement ne convient pas à tous
les cas. Il en résulte que nous aurons à examiner ces
luxations dans leurs diverses manières d’être. On peut les
ramener à deux étals principaux, si on ne considère que
leurs suites, et c’est ce que nous nous proposons unique-
ment de faire.
1® Les luxations sous-astrag’aliennes laissent après elles
ou des difformités ou des infirmités.
2° Quels moyens sont propres à triompher de ces étals
patholog’iques, à faire disparaître les accidents éloig’nés?
Qu'il me soit permis d’offrir ici mes remercîments les
plus sincères à mon exeellent maître M. le professeur
Verneuil, puisqu’il a bien voulu me confier ce travail. Je
me suis efforcé d’apporter à l’accomplissement de ma
tâche un soin ég’al à la reconnaissance et au respect que
la bienveillance dont vous m’avez entouré et votre haut
enseig’nement ont inspiré à l’un de vos élèves les plus
dévoués.
(1) Leçon clinique et Bulletin de la Soc. anatom. Paris, t. XVII,
2® série.
Je prie aussi M. le professeur Broca d’ag’réer l’expres-
sion de toute ma g-ratitude pour la complaisance qu’il a mise
à me communiquer la plus g*rande partie des faits que
nous donnerons plus loin.
Bien cher ami Bureau, je vous dois aussi une largue
part dans mes remercîments, pour l’empressement et les
soins que vous avez apportés à dessiner les planches de ce
travail.
Il n’entre pas dans le plan de ce travail de reprendre
les long*ues discussions qui ont eu lieu à diverses époques,
lorsqu’on a cherché à classer les luxations de l’astrag’ale.
Malg’aig’ne et M. Broca, les premiers, ont présenté des ta-
bleaux assez différents pour que les opinions soient encore
partagées à ce sujet : mais les autres auteurs n’y ont ap-
porté aucune modification. Eu égard au but que nous nous
proposons d’atteindre, cela est pour nous d’une impor-
tance très-secondaire. Mais il nous a semblé qu’une des-
cription rapide de l’articulation tibio-péronéo-astrayalienne
et l’histoire des luxations de l’astragale (variétés sous-
astragaliennes) étaient le préliminaire obligé à l’étude
des moyens curatifs que réclament ces sortes de luxations,
devenues irréductibles, ou parle temps ou par le genre de
déplacement qu’a subi l’astragale.
Notre étude comporte donc deux divisions principales :
1° Histoire des luxations sous-astragaliennes ;
2" Indications que présententent les luxations sous-as-
tragaliennes anciennes, tirées des accidents qui paraissent
tardivement ou des lésions persistantes. En d’autres
termes, que fera-t-on dans le cas de difformités anciennes
et consécutives? Que fera-t-on contre les infirmités^ dans les
mômes circonstances?
Anatomie et physiologie du cou-de-pied. — L’articulatio
du cou-de-pied, limitée d’une manière différente par les
8
auteurs (Blandin, Malg’aig'ne, Velpeau), comprend, d’après
M. le professeur Richet, qui adopte complètement les vues
de Velpeau : les deux malléoles, l’extrémité inférieure du
tendon d’Achille, et les deux articulations tibio-péronière
ettibio-péronéo-astrag’alienne. (Richet, Anat. méd.-chir.,
3® édition, Paris, p. 1074.)
Une saillie osseuse formée par l’extrémité inférieure du
tibia constitue la malléole interne.
En dehors, la malléole externe est formée par l’extrémité
inférieure renflée du péronée;elle descend un peu plus
bas que l’interne.
En se réunissant par arthrodie, ces deux os établissent
une mortaise, oblong’ue dans le sens transversal, et dont
le tibia forme seul la plusg-rande partie. Une saillie antéro-
postérieure, très-mousse, divise en deux parties cette sur-
face d’avant en arrière. Elle correspond à la partie de la
face supérieure de l’astrag’ale. La mortaise est complétée
par deux lig’aments tibio-péroniers, l’un en avant, l’autre
en arrière.
L’astrag’ale forme la seconde partie de cette articulation.
Sa face supérieure est allong’ée, en sens inverse de la
mortaise, c’est-à-dire d’avant en arrière, et inég’alement
divisée en deux parties par une g’org’e qui loge la crête
antéro-postérieure de la mortaise.
De telle sorte, ditCruveilhier, que leplus granddiamètre
de la trochlée astragalienne est dirigé d’avant en arrière,
tandis que le plus g’rand diamètre de lamortaiseest dirigé
transversalement. Or, c’est précisément cette dispropor-
tion entre ces deux diamètres qui se croisent, qui mesure
l’étendue des mouvements d’extension et de üexion du
pied.
'■>ois forts ligaments externes maintiennent le contact
eiiire ces deux surfaces; en dedans, un seul ligament; mais
il est extrêmement puissant.
— 9 —
En avant et en arrière, on ne trouve pas, à proprement
parler, de lig^aments. C’est un tissu cellulaire lâche, mem-
braniforme, qui double la synoviale, et se confond avec les
g’aînes tendineuses voisines. En effet, que l’on isole les
tendons qui recouvrent la face antérieure et la face posté-
rieure, et l’intérieur de l’articulation se montre, pour ainsi
dire, à découvert.
Destinée à supporter le poids du corps, et prenant une
part active à la progression, cette articulation est douée de
la plus g*rande solidité. Comme les deux pièces qui la
forment sont réciproquement perpendiculaires, l’une
transmet directement à l’autre le poids qu’elle reçoit.
En outre, la conformation ang-uleuse de ia mortaise (par
les malléoles) et la forme de la trocblée astrag*alienne,
constituent un véritable emboîtement réciproque. Cela
réalise le plus haut deg’ré de solidité compatible avec les
mouvements étendus dont l’astragale est le siégé.
L’élasticité du péroné complète la résistance. Le moindre
eflort ne ferait-il pas éclater cette moidaise, si elle n’était
formée que par une excavation creusée dans le tibia
seul?
Mais là n’est pas le seul avantage de celte disposition.
L’emboîtement parfait des deux os (|ui constituent le gin-
glyme tibio-péronéo-astrag’alien réalise en meme temps
les conditions les plus favorables précismi et à V énergie
de la flexion et de l’extension du pied. Ce sont d’ailleurs les
seuls possibles dans cette articulation. Les inclinaisons
latérales ne font pourtant pas absolument défaut; mais
il est ég'alement vrai d’ajouter qu’alors le moindre excès
de pression de l’astrag’ale suffît à casser le péroné.
.J’ai déjà fait observer que, "soit en avant, soit en arrière,
les ligaments n’existaient pas au point de mériter ce nom.
Ces faces du gingîyme sont recouvertes par tous les ten-
dons des muscles de la jambe, qui vont au pied. On y
- 10 —
trouve encore des vaisseaux et des nerfs. Et dans l’histoire
des luxations soiis-astrag'aliennes, les org-anes vasculo-
nervpux revôtentun caractère spécial d’importance, à cause
des accidents sérieux auxquels leur lésion peut donner
naissance. Nous étudieronsplus loin la fréquence et la na-
ture des lésions qu’une luxation de l’astrag’ale peut pro-
duire, en s’eng-ag’eant au travers des parties molles. Mais
n’anticipons pas.
Il n’est pas moins utile de sig’naler le mode de nutrition
de l’astrag’ale. Cet os, articulaire par toutes ses faces, ne
reçoit des vaisseaux que par un point ; c’est par la partie
inférieure du col. Qu’une luxation se produise, et elle s’ac-
compag-nera, presque inévitablement, de rallong*ement, de
la torsion et quelquefois même de la rupture de ces vais-
seaux. Et par ce fait, voici désormais l’astrag^ale trans-
formé en un corps étrang-er, qui peut subir toutes les mo-
difications qu’entraîne dans les tissus l’arrêt de nutrition
ou une alimentation vicieuse.
Je pense en avoir dit assez pour pouvoir aborder aus-
sitôt l’histoire des luxations sous-astrag’aliennes, anciennes^
qui seules nous intéressent dans cette étude. Passons sur
les classifications qui ont été proposées, aussi nombreuses
que ceux qui ont traité de rastrag*ale. Nous donnons le
nom de luxations soiis-astrag'aliennes à ces cas où l’as-
trag-ale, abandonnant une partie de ses rapports normaux,
se sépare du calcanéum en arrière, du scaphoïde en avant,
mais sans se déplacer de sa situation dans la mortaise ti-
bio-péronière.
Historique. — 1.’ étude des luxations sous-astrag-aliennes
est de date récente. C’est à M. le professeur Broca que la
science est redevable de l’étude complète de ces déplace-
ments. Ce savant professeur réunit le premier les faits
qui avaient été publiés isolément et de loin en loin. 11
présenta sur ce sujet un remarquable Mémoire, lu à la
Société de chirurg-ie en 1852. On nous pardonnera de pui-
ser Iarg*ement à cette source; ;car les rares faits qui ont
été publiés depuis cette époque n’ont g*uère modifié les
idées exposées par cet auteur. tr
La première observation publiée est celle de Bromfield,
qui fut publiée par Hey; mais ce fait est mal défini. —
Judcyen publia un deuxième cas en 1811. Et quoique le
texte de cette observation montre clairement qu’on avait
affaire à une luxation sous-astrag*alienne, Judcy la publia
sous le texte erroné de luxation métatarsienne.
Il faut arriver jusqu’en 1835 pour trouver enfin une
observation irréprochable; elle fut publiée par Nélaton.
Il faut ajouter que le malade mourut par suite de l’opéra-
tion immédiate. L’examen anatomique, fait avec le plus
g-rand soin, permit enfin d’appréciei\exactement le g’enre
des lésions qui se produisent dans ces luxations. (Fait de
Roux, Bull, de la Soc. anat., t. X, p. 38, 1835. ) — Deux
ans plus tard, Arnott en fit connaître un nouveau cas, que
nous rapporterons nous-même plus loin (in Lo?ido?i Me-
die. Gaz., t. XX, p. 588, 1837).
Deux ans après, un fait de Mac Donnel eut un grand
retentissement, à l'aison du nom bien connu de la vic'ime;
c’était le professeur Garmichaël, de Dublin. Mais ce ne fut
qn en 1847, que les luxations sous- astrag’alien nés prirent
définitivement, dans les ouvragées, le rang* que leur im-
portance leur assig*nait ; Nelaton leur consacra un long*
article dans son Traité de patholocjie externe { édition de
1847.) ' ^
Peu de temps après (1852), parut le remarquable mé-
moire deM. le professeur Broca. Les résultats de l’expé-
rience unis à une judicieuse critique des observations pu-
bliées jusque-là, permirent à cet auteur, de tracer enfin
riustorique des luxations de Fastrag-ale. Depuis cette
— 1-2 —
npoqne, aucun lait, du moins notre connaissance, se •'
rapportant à ceux que nous voulons étudier, n’a été pu-
blié. Mais quelques nouveaux travaux sont venus s’ajou- I
ter aux recherches de M. Broca. Parmi eux, il convient de j
citer 1^ thèse inaugurale de M. Duhrueil, en 1863. Deux
observations que nous-même avons reeueillies dans la "
pratique de notre exeellent maître, M. le professeur Ver-
neuil. seront publiées dans le courant de cette étude qu’elles i
ont inspirée.
Les luxations sous-astrcif/aliennes ^ nous l’avons déjà dit,
sont constituées par un déplacement de l’astragale sur le '
calcanéum et sur le scaphoïde; l’astragale conservant [
d’ailleurs ses rapports normaux avec la mortaise péronéo-
tibiale. Cette conception, qui est d’accord avec la théorie
de Malgaigme , est contraire aux idées que M. Broca se
fait des mêmes luxations. Pour ce dernier, ce sont le cal-
canéum et le scaphoïde qui se déplacent sur l’astragale. ,
Tout en avouant humblement notre incompétence en pa- .
reille matière, nous préférons pourtant adopter la manière
de voir de Malgaigne; car il paraît naturel d’indiquer les
différentes variétés de luxation de l’astragale par la di-
rection que cet os suit dans ses déplacements.
Gela dit : l’aslrag-ale peut glisser sur le calcanéum et le
scaphoïde, suivant quatre directions principales :
1" Luxations sous-astragaliennes en avant;
2° — — en arrière ;
3« — — en dedans;
40 — — en dehors.
Mous ne nous occuperons que pour mémoire des deux
premières variétés. Elles sont extrêmement rares et faciles
à diagnostiquer. En effet, tandis que l’on cite deux cas de ^
- 13 —
luxation sous-astrag-alienne en avant (cas de Mac IJoiinell,
I cas de Malg-aig’ne) , et un seul de luxation en arrière (fait
Icle Parise, cité par Malg’aigaie), le nombre des luxations
en dedans et en dehors est considérable. Nous nous bor-
nerons donc à la seule étude de ces deux dernières es-
pèces.
Ces deux sortes de luxations comportent elles-mêmes
d’autres subdivisions. Elles peuvent être complètes ou in-
complètes^ suivant que Taslrag’ale est plus ou moins sépa-
rée des surfaces calcanéennes et surtout du scaphoïde.
Quant aux causes, elles n’olYrent rien de bien particulier.
De même que dans les autres luxations, elles sont directes
ou indirectes. Cependant, à ce propos, il résulte des obser-
vations étudiées par M. Broca que. les luxations par cause
indirecte sont de beaucoup les plus fréquentes. Tandis
que les premières proviennent d’une violence agissant
immédiatement sur le pied : une chute, un faux pas, une
circonstance qui fait porterie pied à faux, telles sont les
origines les plus fréquentes des luxations sous-astrag^a-
liennes, alors de cause indirecte. Ajoutons qu’il n’est pas
toujours facile d’expliquer la lésion par l'accident qui l’a
produite.
Les luxations sous-astragaliennes en dedans sont incompa-
rablement plus fréquentes que les memes déplacements de
1 astragale, en arrière ou en avant. Nous avons également
signalé que M. Broca (Ij avait noté la grande fréquence
des causes indirectes. Cette marque est surtout vraie dans
la variété que nous examinons maintenant. Le mécanisme
par lequel se produisent iles luxations sous-astragaliennes
est aujourd hui bien connu. Le plus souvent elles pro-
viennent delà chute, sur le pied, d’un lieu élevé; tandis que
le pied est subitement porte dans une abduction forcée on.
(1) Broca. Loc. cit.
_ 14 —
011 adduction, et qu’il repose principalement alors sur le
calcanéum. Nous savons ég'aloment que les mouvements
d’abduction et d’adduetion se font en un siég*e bien déter-
miné. Ils résident uniquement dans le jeu des surfaces
articulaires sous-aslrag-aliennes , c’est-à-dire dans les
points de contact astrag'alo-calcanéens.
La production de ees mouvements est encore due, en
g'rande partie, à la mobilité de la condylienne, astrag’alo-
scaphoïdienne. Mais, il faut bien remarquer que, dans ces
mouvements, l’astrag'ale reste absolument immobile. Et
il faut qu’il en soit ainsi. Le déplacement des surfaces
articulaires ne saurait se produire s’il en était autrement.
Car, c’est, précisément, par le fait du g'iissement simultané,
et en sens contraire, des surfaces sous-astrag*aliennes et
de l’astrag’ale restant fixe, que la luxation se produit.
En outre, l’existence d’une luxation sous-astrag’alienne
est entièrement subordonnée aux rapports ultérieurs de
l’astrag’ale avec les os de la jambe. Il est nécessaire que la
mortaise et la poulie maintiennent exactement leurs rap-
ports normaux. Ce qui changée uniquement, c’est l’axe du
pied. Il est dévié.
Quoique l’adduction et l’abduction puissent être produites
isolément, ils s’accompag’nent ordinairement d’une torsio?i
du pied dont le bord interne s’élève (varus), ou d’une tor-
sion avec élévation du bord externe (valg’us). Ces mouve-
ments ont aussi un siég*e spécial. Ils se passent uniquement
dans l’articulation catcanéo-astrag*alienne. Or, comme
celle-ci est toujours détruite dans les déplacements dont
nous nous occupons, il en résulte un état permanent et
patholog’ique de torsion du pied, soit en varus, soit en
valg’us, simultanément avec la déviation de la pointe en
dedans ou en dehors.
Chaque g*enre d’ailleurs a ses caractères spéciaux qui le
disting*uent de toute autre lésion.
— 15 —
Voyons donc ce qui doit se joasser, théoriquement, dans,
les luxations sous-astrag’aliennes en dedans.
Le pied est porté dans une abduction forcée^ avec abais-
sement du bord interne. Le bord externe est relevé (valg-us)
le plus possible dans la luxation complété. Les lig'aments
sous-astrag’aliens se déchirent. La tete de 1 astrag*ale presse
outre mesure sur la partie interne de la capsule qui la
retient dans la cupule scaphoïdienne. Ce manchon mem-
braneux se déchire; la tête de l’astragale s’engage dans
l’oriiice, le franchit et vient faire saillie sous les téguments
qu’elle distend en raison directe de son déplacement. Alors,
la face externe de l’astragale va se mettre en contact avec
le rebord interne du scaphoïde. A ce moment, les surfaces
articulaires inférieures de l’astragale ont quitté les sur-
faces correspondantes du calcanéum. Nélaton (1) a signalé
une circonstance particulièrement importante. Le dépla-
cement de- l’astragale s’arrête à un moment donné. Le
crochet qui termine cet os, en bas et en arrière, s’engage
et se fixe si solidement dans le sinus calcanéen , que cela
devient un des plus sérieux obstacles à la réduction.
Dans d’autres cas, l’astragnle se sépare en totalité du
calcanéum. C’est alors que le pied, entraîné par le calca-
néum, se porte en masse vers la malléole externe.
La conséquence nécessaire des faits que nous venons
d’exposer brièvement c’est la déchirure des parties molles
qui embrassent le cou-de-pied. Aussi bien les vaisseaux et
les nerfs, les tendons et la peau cèdent à la pression de
l’astragale qui fuit son siège. Et, que l’on ne croie pas ces
faits aussi rares qu’on a bien voulu le dire. La rupture des
téguments est la règle. Une luxation sous-astragalienne
est l’exception. Voilà ce qui ressort des recherches
de M. Broca(2).
Et, en réalité, tout ce qu’enseigaie la théorie trouve une
(1) Nélaton. Loc. cit.
(2) Broca. Loc. cit.
— K) -
pleine conliriualion dans ce (jne l’on observe. Chacun des
phénomènes Iburnis par Je raisonnement, pliénoinènes
possibles, constitue la symptomatolog'ie spéciale des luxa-
tions sous-aslrag’aliennes.
Le plus souvent le malade est dans l’impossibilité ab-
solue de faire usag-e du membre pelvien cpji a été atteint.
JjC pied est déjeté en dehors. Les orteils sontplus ou moins
complètement déviés en dehors, et désormais dans une
abduction permanente. Le bord externe du pied est porté
en liant (valg’us) et en dehors. Quelques auteurs ont pour-
tant avancé qu il ne se produisait aucun renversement,
et que Je pied repose sur sa plante.
L axe du membre dessine une ligaie irrég“ulièrement
brisée. La direction du tibia, qui, à l’état normal, se con-
fond. avec une ligme menée par le milieu du cou-de-pied,
vers le deuxième orteil, tombe maintenant en dedans du
pied et en avant. L’avant-pied, par le fait, se trouve rac-
courci. Le calcanéum fait en dehors une saillie considé-
rable ; et, soulevant à son niveau toute l’épaisseur des
tég-uments, il produit au-dessus de lui une dépression
constante.
La face interne du cou-de-pied n’échappe pas à la défor-
mation que subissent les parties voisines. La malléole
tibiale, devenue très-saillante, y forme une éminence con-
sidérable. Enfin la caractéristique de ce g’enre de luxa-
tion, c’est la présence d’une saillie volumineuse, formée
par la tète de l’astrag*ale qui soulève les tég*uments, un
peu au-dessous et én avant de la malléole tibiale. JNous
examinerons plus loin la conséquence du refoulement des
parties molles.
Après l’étude que nous avons faite et la manière dont
nous comprenons les luxations sous-astrag'aliennes, il est
à peine utile d’insister sur les mouvements qui sont
maintenant possibles. La seule luxation sous-astrag’a-
— 17 —
Hernie entraîne la perle de tous. C’est ainsi que la flexion,
que l’extension, sont intégTalement conservées. Mais il n en
est pas de même des mouvements de latéralité et de tor-
sion du pied en dehors et en dedans. Le plus souvent ils
sont tout à fait abolis.
Des luxations sous-astrayaliennes en dehors. — L’étude
abrég’ée, mais complète, (lue nous venons de faire des
luxations sous-astrag’aliennes en dedans, nous permettra
de passer rapidement et d’éviter de tomber dans des redites
au sujet d’une autre variété qui se présente : les luxations
en dehors.
Les phénomènes apparaissent ici dans un ordre tout à
fait inverse. Ce qui frappe principalement, dans ces cir-
constances nouvelles, c’est une déviation extrême et réci-
proque de la jambe et du pied.
L’axe de la jambe tombe à peu près complètement ou
même complètement en dehors. Le pied est fortement
déjeté en dedans. Son bord interne est plus ou moins relevé
en varus; la plante et la pointe suivent ce mouvement et
reg’ardent lég’èrement en haut et en dedans. La face dor-
sale est diminuée dans sa long’ueur. Le cou-de-pied est
déformé par la progression de l’articulation libio-astraga-
lienne. La tête de l’astragale déplacée produit un volu-
mineux soulèvement des parties molles, sur la face externe
du pied et de la jambe. Par la palpation, on la reconnaît
très- nettement à sa forme arrondie.
D’ailleurs laprésenced’une saillie sphéroïdale, en arrière
et en dehors du cuboïde, ne peut, dans une altération vio-
lente et subite des formes du pied, provenir que du dépla-
cement de la tête de l’astrag'ale. En outre, la tumeur volu-
mineuse que cet os détermine quelquefois peut être si
considérable, qu’un sillon très-net s’établit alors entre elle
et le bord externe du pied. Un des malades dont nous
Du Bourg. 2
18 —
publions l’IiisLoii'e ollre un exemple si remarquable de ce
fait que nous avons cru utile d’en publier le dessin exé-
cuté d’après nature. (PI. I.)
Dans les luxations externes de l’astrag-ale, la malléole
externe se dessine très-apparente. Elle surmonte une ex-
cavation anormale, produite par le déplacement du calca-
néum vers la partie interne. La malléole interne est
effacée; dans tous les cas, elle disparaît à peu près com-
plètement. En arrière d’elle, on sent une saillie osseuse
bien marquée. C’est la petite apophyse du calcanéum,
portée en haut par le renversement du talon en dedans.
Mais ici encore les grands mouvements de la trochlée
sont parfaitement conservés.
Les mouvements de latéralité n’existent plus dans les
cas ordinaires. Cependant, et quoique dans une faible
mesure, ils peuvent persister actifs et passifs. C’est du
moins ce que nous avons pu très-clairement constater chez
le malade dont je parlais tout à l’heure, et qui peut tous
les mouvements, ceux-ci plus étendus, les autres plus
limités. Il est vrai que ce malade, soucieux de son état,
soumettait son pied à une g’ymnastique fréquente.
En résumé, on est certain qu’une luxation sous-nstraga-
lienne existe véritablement, lorsqu’on reconnaît que l’as-
trag'ale, tout en conservant ses rapports normaux avec la
mortaise péronéo-tibiale, a sa tête saillante sous la peau ;
quelle produit alors une altération dans la direction réci-
proque de la jambe et du pied, quand 1 intég*rite des mou-
vements de flexion et d’extension est conservée. Ce sig-ne,
tout fonctionnel, est de la plus haute importance dans
l’espèce, puisque avec la saillie sous les parties molles de
la tête astragalienne, il est la caractéristique des luxations
que nous venons d’étudier.
Tels sont les détails dans lesquels nous avons cru de-
voir entrer, avant d’aborder l’objet principal de notre .
19 —
étude. Les connaissances qui précèdent, nous pouvons
désormais les appliquer à la connaissance des indications
que présentent certains cas particuliers des luxations sous-
astrag’aliennes, anciennes; indications spéciales, et comme
nous le verrons, entièrement subordonnées aux conditions
qu’elles entraînent. Ces conditions sont tout à fait parti-
culières. Elles existent dans deux états nettement définis :
les difformités et les infirmités. Entre eux pas la moindre
similitude, si l’on s’attache uniquement à considérer les
circonstances ultérieures, très-éloigmées dont elles s’en-
vironnent.
4r
SECONDE
PAKTIE
Indications que présentent les luxations sous-astra-
galiennes anciennes, au point de vue des difformités
et des infirmités qu’elles ont fait naître.
1° Difformités. — Quel est le mode de traitement que le
cliirurg’ien doit préférer dans les cas de luxations sous-
astrag’aliennes, qui remontent à une époque éloigmée? Et
par luxations anciennes, nous voulons désigmer ces sortes
do cas spéciaux, si l’on peut ainsi dire, qui datent d’un
temps considérable, abandonnés à eux-mêmes, parce (lue
toutes les ressources de l’art ont été épuisées. C’est en
vain qu’au début les moyens les plus divers, tour à tour
procédés de douceur et procédés violents, ont été essayés.
Aucune tentative n’a pu rétablir l’astrag-ale en son siég’e
normal. 11 reste là, comprimant les parties molles, par-
fois sans dang’ers apparents , et parfois menaçant le
malade d’accidents dont on ne saurait prévoir l’issue.
Cependant le malheureux se plaint. 11 presse le chirur-
gien et lui réclame l’usag’e d’un membre inutile ou insup-
portable. Que faire?
Nous l’avons déjà dit, l’état du malade nous permet
d’examiner la cjuestion à un double point de vue. Com-
mençons par les cas les plus simples.
Un malade s’est donné une luxation sous-astrag’alienne.
Elle n’a pu être réduite au début. Le voilà condamné a
traîner, pendant des mois, des années, une existence
pénible. 11 doit g^arder le repos le plus absolu, sous peine
de voii* s’ag'g’raver les accidents ([ui le tourmentent. En
1
— 21 —
vnin voiidrüit-on fju’il sg mGiivG. ComiTiGnt 1g pourrait-il ?
Son piofl Gst dévié do sa situation normalo. Los différonlGs
partiGs c|ui forment sa charpente ont subi dans leur arran-
gement une altération dont le premier effet est l’impuis-
sance de la prog’ression.
C’est ici que commençaient les divergences d’opinions,
il y a quelques années à peine. Mais on peut dire haute-
ment que la chose est, aujourd’hui, jugée définitivement
pour la plupart des cas : dans d’autres, nous le montre-
rons, l’expérience a conduit à des conclusions non moins
certaines.
Néanmoins la plupart des auteurs ontpassésous silence
les indications que réclament quelques cas spéciaux ; ou
bien ils y ont passé rapidement. Tel est dumoins le résul-
tat de nos recherches. Car, malgré les soins les plus ininu-
tieux, c’est à grand’peine que nous avons pu découvrir,
parmi les observations publiées jusqu’à ce jour, deux
seuls faits de luxations sous-astrag’aliennes très-anciennes
qui se soient terminés par une difformité. Un troisième,
a été recueilli par nous dans la pratique de notre excellent
maître. Qu’on nous permette de le présenter ici dans tous
ses détails :
Observation 1.
Houet, marchand de vin, 27 ans, a servi comme mobile
dans 1 armée de Boui'haki. Refugiéen Suisse au cours des
hostilités, il rentrait en France, après la paix, lorsque le
train où il se trouvait heurta un autre convoi. (En Suisse
les wagons sont accrochés entre eux par une forte tige
d’acier (trait) solidement fixée aux deux voitures). Dans le
choc, cet homme fut lancé entre deux wagons dont le trait
se hi Isa, saisit son pied par la face interne, au niveau de
la malléole, et l’appliqua contre le deuxième wagon. Ce
ne lut que deux heures après l’accident que l’on délivra
Rouet, et quand il voulut marcher, il ressentit dans lecou-
de-pied droit une douleur tellement vive qu’une syncope
s’ensuivit.
Le pied était complètement déformé, très-tuméfîé. A. la
face interne une larg’e blessure produite par le choc du
1
ÙURZkU Dkl
Fig, 1. La jambe et le pied sont vus aux trois quarts ;
1. Axe du tibia et direction de la jambe.
2. Direction du cou-de-pied de haut en bas, de dehors en dedans.
3. Axe du pied.
4. Malléole interne profondément cachée.
5. Petite apophyse du calcanéum.
6. Tumeur formée par la tête de l’astragale qui soulève les parties molles.
7. Sillon profond qui sépare cette tumeur, du bord externe du pied.
8. Cassure du tibia, au moment de l’accident.
9. Siège de la fracture du péroné.
trait; une fracture oblique
tibia, à 0,05 de la malléole.
de l’extrémité inférieure du
Le péroné était ég’alement
cassé au même niveau. La partie antéro-externe du dos
du pied était soulevée par une g*i*osse masse, que l’on recon-
naît formée par la tête de l’astragale. Le pied était dans l’at-
titude qurnl présente encore aujourddiui et que nous décri-
rons bientôt.
Les chirurgiens qui virent Rouet à ce moment décidèrent
qu’il fallait amputer la jambe. Mais le malade s’y refusa
absolument, et il rentra en France un mois après l’acci-
dent. La plaie de la face interne du pied était parfaitement
cicatrisée ; elle avait d’ailleurs très-peu suppuré. Il n’est
jamais sorti d’esquilles.
Fig. II. — Le même membre vu de profil :
Tumeur formée par la tôle de l’astragale.
2. Sillon qui la sépare du bord externe.
3. Cicatrice d’une ancienne plaie.
4. Autre cicatrice.
5. Plaie existant actuellement avec fistule.
fi. Aucune fracture du péroné au moment de l’accident.
Rouet resta dans cet état pendant deux ans et six mois
lorsque au mois d’avril dernier (1874), il vint dans le ser-
vice de M. le professeur Verneuil demander qu’on le dé-
livrât (Vune supjmratmn, survenue au pied depuis quelque
temps. Après un premier examen, on eng’ag’ea Rouet à re-
venir. Il ne reparut pas. (16 novembre.) Je suis allé au
domicile du malade, et voici ce que j’ai constaté.R... jouit
toujours d’une santé excellente. Le cou-de-pied est abso-
lument informe. La jambe, l’articulation et le pied pré-
sentent dans leur ensemble une lig’ne brisée, que l’on peut
comparertrès-exactement aux anciennes baïonnettes, l’axe
delà jambe prolong*é tombe en dehors du pied.
On reconnaît très-nettement la cassure du tibiadontles
deux frag’inents se réunissent à angde obtus ouvert en de-
dans. Le péroné porte ég’alement une soudure à 0,04“ en-
viron de la malléole ; elle est ang’uleuse aussi, ouverte en
dehors ; la malléole externe fait une saillie volumineuse
sous la peau. Au niveau de la malléole tibiale, profondé-
ment cachée, un lég’er creux. En dehors et avant, la face
dorsale du pied est déformée par une tumeur considérable,
qui soulève les tég'uments. Cette rég’ion est le siég'c d’un
empâtement diffus, au sein duquel on reconnaît facilement
la tête de l’astrag'ale, surmontant le cuboïde; l’astrag-ale
a conservé ses rapports normaux avec la mortaise. Cette
saillie est nettement séparée du bord externe du pied par
un sillon profond. Le pied repose à plat snv le sol, de telle
façon que, le malade étant debout, on ne remarque pas la
difformité; le bord interne est légèrement relevé en varus,
a pointe en adduction.
Mouvements . — Après cela, il est curieux d observer le
peu de gêne que cet état du pied occasionne au malade. Il
ne se plaint absolument que de la suppuration. En effet,
cet homme, qui paraît jouir d’une certaine aisonce, vaque
lui-même à ses affaires. Il va à Bercy à pied, sans canne,
il sert ses clients toute la journée sans ressentir la moindre
• rlouleiir. C'est à peine si quelquefois, le soir, il éprouve un
peu clefatig’ue; parfois aussi la jambe g*onfle; mais cette
tuméfaction a disparu le lendemain malin. D’ailleurs rien
de constant clans ces phénomènes. Le malade nous a dit
qu’il ferait lentement, mais facilement, deux lieues, sans
appui. Tout cela implique une certaine intég’rité des mou-
vements. En eiïet, le pied parcourt dans la flexion un arc de
0,09 centim. environ, l’extension est égadement considé-
rable. Les mouvements de latéralité sont faibles et pour-
tant très -manifestes. Enfin, chez lui, l'adduction et l’abduc-
tion sont possibles, quoique très-limitées, et Rouet nous a
raconté que, s’il jouit de ces avantag’es, c’est qu’après avoir
quitté ses béquilles deux mois après l’arrivée de l’accident,
il n’a pas cessé de soumettre son pied à des mouvements
prolong’és et à uneg’ymnastique rég’ulière et persévérante.
La puissance des muscles de la jambe est parfaitement
conservée; nous nous sommes efforcés de ramener le pied
dans sa position normale actuelle ^ après l’avoir niisen flexion
ou extension; et la résistance qu’oppose cet homme a été
supérieure à notre force. En un mot, il n’est point g’ôné
par sa difformité ; il marche sans canne, avec un peu de
varus, mais sans boiter. .T’ai mesuré le pied, qui paraît di-
minué détendue : ce raccourcissement n’est qu’apparent.
La jambe droite(malade) est à peine plus courte que l’autre
de 0,01 cent.
legumenU. Au niveau de lu saillie que détermine la
tête de l’astrag’ale, on voit une petite plaie au milieu
de laquelle existe un trajet fistuleux, donnant issue à
un pus extrêmement fétide, mal lié. Deux trajets an-
ciens sont aujourd’hui cicatrisés. Ces derniers accidents,
les seuls dont cet homme se plaigme, ne remontent qu’à
seize mois. H raconte que depuis l’accident (22 mars 1871),
la peau était restée très-saine, sans jamais séralller, mais
très -tendue, très-fine. Lorsqu’il y a seize mois, se trouvant
— 2ü
avec des amis, l’nn d’eux lui donna un léger coup sur la
tumeur. Depuis ce temps la peau devint violacée; elle s’ul-
céra, et du pus n a cessé de couler. Il y a eu là évidemment
un travail d élimination, facilité par une mauvaise circu-
lation locale, qui s’explique par la pression que la tête de
1 astrag’ale exerce à ce niveau.
Cette luxation est ancienne ; elle date de trois ans et demi
et ne cause aucune gene au malade. Voilà donc ce que
l’on peut imaginer comme un cas type de diflormité.
Nous voilà donc en présence d’un fait de luxation sous-
aslragalienne bien contirmé. Au début, le malade refuse
de laisser pratiquer une amputation, qu’on voulait lui faire
subir, probablement l’amputation sus-malléolaire, dont
nous examinerons la triste valeur.
Ce malade portait, en outre, une plaie au côté interne du
cou-de-pied. C’était donc un cas où pour bon nombre de
chirurgiens il eût fallu en dernier ressort pratiquer, ou
l'extirpation immédiate^ ou l’amputation sus-malléolaire.
D’autres, dans ce cas, recommandent l’expectation.
Mais la volonté du malade est formelle. Il a horreur du
bistouri, et pour ce motif il repousse énergiquement l’in-
tervention chirurgicale, quel ciu’en soit le mode.
Cependant son pied est dans une attitude défectueuse,
et les parties molles supportent une vive pression, de la
tête de l’astragale. Or, malgré ces grands désordres, le
malade ne souffre pas. Il n’est aucunement incommodé par
son pied. C’est à peine si quelquefois, par suite de trop
grandes fatigues, le cou-de-pied devient œdémateux. Mais
le repos fait disparaître ce gonflement; circonstance plus
surprenante, le pied a conservé dès mouvements presque
aussi étendus qu’à l’état normal. Le malade ne boite nulle-
ment. Il marche très-bien, et peut rester longtemps debout,
quoique ayant un métier très-fatigant. A quoi faut-il donc i
avoir recours dans cette circonstance? Faut-il proposer au
malade une opération dans le but de rendre au pied son
état d’autrefois?
Pourquoi, dans ces circonstances, je dirais presqueheu-
reuses, où il setrouve, exposer cet homme aux périls d'une
opération toujours sérieuse, mais qui revêt dans l’espèce
un caractère spécial de g-ravité? Ne serait-on pas en droit
de jeter un blâme au cbirurg-ien qui voudrait intervenir
dans de pareilles conditions? Il est d’ailleurs possible que
l’opération n’apporte pas une modification plus avanta-
g’euse.
Nous croyons, nous, que cet homme peut et doit rester
dans l’état où il se trouve actuellement. Depuis trois ans
et demi, aucun accident ne s’est montré, pas la moindre
g*êne dans la progression, pas la plus légère douleur.
Le malade n'est pas incommodé davantage par la forme
de son pied, et la différence de longueurclu membre sain
d’avec le membre frappé est à peine digne de remarque,
malgré un grave traumatisme. Il a suffi au. malade de faire
corriger le talon seul de sa chaussure, en le faisant élever
de 0,005 millimètres. Encore une fois, pour tous ces motifs
nous croyons que c est là un cas où il faut absolument
s’interdire l’intervention.
Mais, au contraire, l’occasion se présente de recourir
aux moyens artificiels, aux appareils prothétiques, des-
tines a 1 endre ici les plus g’rands services. Et l’exemple
précédent nous prouve leur utilité, puisque avec une légère
différence dans ses chaussures, cet homme peut marcher
sans bâton, sans appui d’aucune sorte.
Cet exemple suffirait donc à légitimer notre manière de
voir, c’est-à-dire qu’il se présente au chirurgien des états
de luxations sous-astragaliennes; états spéciaux, dans les-
quels les phénomènes pathologiques, capables d’entraver
les fonctions du pied, font absolument défaut, et affirmen
— 28 ~
hautement cette loi encore si discutée de la non-intervei>
tiou. Mais ajoutons que les faits de cet ordre ne sont pas
très-fréquents.
De cette étude il ressort deux circonstances importantes.
D’abord, nous voyons un homme porteur d’une luxation
soLis-astrag'alienne très-ancienne (datant de trois ans et
demi), n’éprouver aucun accident, aucune gène de son
état.
Bien mieux, cet homme a réussi à rendre à son pied des
mouvements actifs très-puissants, sa solidité ancienne; et,
en faisant subir quelques modifleations à sa chaussure, il
a pu reprendre l’usag’e de son membre, presque comme
avant l’accident.
Maig’aigme (1) rapporle deux faits qui ne sont pas sans
quelque analogie avec l’observation première de cette
étude.
Observation 11.
Dans un cas de Thorpe, cité par Turner (2), une
luxation sous-astragalienne ne put être réduite. Mais
dans la suite il n’en resta d’autre incommodité que la sail-
lie de la tète de l’astragale.
Dans le meme ouvrage de Malgaigne (3) je trouve encore
le fait suivant :
Observation III.
Un jeune homme de 22 ans, à la suite d une chute
sur le pied , eut l’astragale luxé en avant; la tête faisait
saillie sous la peau. L’avant-pied paraissait raccourci, le
talon allong’é. Te pied était dans 1 extension, sans dévia-
tion d’aucune espèce. La réduction ayant été impossible,
(1) Malgaigne. Traité desFract. et Lux. T. II.
(2) Turner.
(3) Malga Igné. Loc. cit.
— 29 —
M. Thierry appliqua un appareil destiné à redresser le pied .
Il n'Y eut pas d’accidents, et à la long-ue la marche sef-
lectua sans douleur ni elaudioation. (Fad de Iluerry, coin
municpié à Malgaigne par M . Broca.) _
Enfin Malgaigne donne encore 1 observation suivante .
Observation IV.
Un sujet se üt une luxation sous-astrag’alienne ; elle
avait été à peu près abandonnée à elle-même. ^ Six
semaines après, le malade marchait avec des béquilles.
11 les quitta pour un bâton au bout d un an, hormis
pour des courses trop long’ues.
Malgaigme le revit treize ans après son aceident. Le pied
porté en dehors était Irès-aplati ; mais le sujet appuyait
sur toute la plante, presque eomme avec le pied sain. Il
avait conservé quelques mouvements à.Q flexion et d ad-
duction, qui se passaient dans 1 articulation calcanéo-
cuboïdienne. La jambe était raccourcie de 0,02 eontimè-
tres. Il portait une chaussure à talon un peu élevé, non
pas cependant ég’al au raccourcissement ; ear il avait
observé que cela exposait le pied a tourner. Mais le malade
avait g*uéri.
Dans tous ces cas nous voyons une persistance de dif-
formités, corrig’ées par des appareils prothétiques les plus
simples. Ce sont assurément des eas sing-uliers, mais des
plus heureux, de terminaison d’une luxation sous-astra-
g-alienne très-ancienne. Mais ne voyons-nous pas ehaque
jour les chirurgiens reehercher ce mode de terminaison,
lorsque toutes les autres ressourees ont éehoué ?
Si l’on examine le peu de fond qu’il y a à faire sur les
moyens thérapeutiques, quand il s’agit, par exemple,
d’une lésion org’anique des articulations, on doit encore
s’estimer fort heureux de voir la maladie n’aboutir qu’à
— so-
nne difTormif.é et de pouvoir ainsi, ou par la prothèse,
eonserver Ihisag'e d’un membre défectueux il est vrai,
mais toujours supérieur à un membre tronqué. Nul ne
song’e à contester cela. C’est là un des plus beaux résul-
tats qu’ait obtenus la chirurg*ie conservatrice, à la défense
de laquelle Bonnet, de Lyon, a immortalisé son nom. Qui
donc oserait, aujourd’hui, s’élever contre les préceptes si
heureux dans les résultats qu’ils donnent, et que ce g-rand
chirurg-ien préconisait il a plus de trente ans ; V immobilité
du membre^QisQi position méthodique dans les lésions articu-
laires.
Et pourtant ce prog*rès, l’un des plus remarquables de
la chirurg'ie moderne, n’aboutit souvent qu’à une diffor-
mité rég’lée, ankylosé du g-enou, de la hanche, etc.
Les faits que nous venons d’examiner appartiennent au
même ordre. Ils rentrent dans cette classe de lésions que
la chirurg'ie conservatrice croit ne relever que d’elle seule.
Mais les faits dont on pourrait espérer une telle fin sont
bien rares. Il suffit pourtant qu’il en existe pour montrer
que les luxations souS”astrag*aliennes peuvent g’uérir,
alors qu’on n’a pu en obtenir la réduction, qu’on les
abandonnait à la nature. Nous croyons donc, avec M. le
professeur Verneuil, qu’il faut respecter les cas de cet
ordre et se défendre rig*oureusement d’intervenir par une
opération, dont on ne saurait prévoir les résultats, quelque
succès qu’elle promette.
Entre les faits de ce g-enre et ceux où la chirurg’ie est
oblig'ée de suivre son cours, on peut rang*er une autre
catég*orie de faits qui se rattachent par certains côtés à
notre première catég’orie (difformités), mais qui ressortissent
ég'alement aux faits g-raves, par l’existence de quelques
phénomènes patholog'iques (infirmités). Quelques faits ont
été mentionnés, mais il ne nous a pas été possible de les
retrouver. Goniraint d’en parler peur compléter notre
— 31 —
éliifie, nous reg’rettons vivement cie ne pouvoir les citer...
Réservons pour les examiner en dernier lieu les circon-
stances cjui viennent ag’g’raver les luxations sous-asti ag’a-
tiennes très-anciennes.
On a vu des cas où ces luxations développaient long*-
temps après leur début une g’cne plus ou moins considé-
rable des fonctions du membre pelvien. Les malades pou-
vaient marcher, mais ils se trouvaient promptement dans
la nécessité de suspendre leur marche. Leur pied devenait
douloureux; il se produisait quelquefois une tuméfaction
considérable. Ou bien c’étaient des douleurs plus intenses,
un eng’ourdissement que, seul. Je repos faisait disparaître.
Que faire dans de telles circonstances?
Ici encore les indications varient suivant la nature
des phénomènes patbolog’iques accusés par le malade.
Quelquefois ces accidents ne se montrent que par inter-
valles plus ou moins rapprochés et dont la production est
tout à fait dépendante du malade qui les provoque par la
marche, etc. D’autres fois c’est un état perpétuel de g’êne
et de souffrances qui ne tardent pas à épuiser l’énerg'ie
du patient. Il désire l’ablation d’un membre sans utilité,
et qui n’est pour lui qu’une source d’accidents, une cause
d’immobilité qui calme à peine les douleurs.
Nous avons vu, il n’y a qu’un instant, que la réduction
des luxations sous-astrag’aliennes est quelquefois impos-
sible, et qu’on a dû les abandonner à elles-mêmes. I..es ob-
servations que nous avons publiées précédemment, nous
enseigment ce fait. Mais, en revanche, ces faits et d’autres
encore, nous démontrent d’une manière très-évidente que
1 abandon de ces luxations à la nature, n’entraîne pas fata-
lement les désordres g*raves que l’on a sig*nalés dans
d antres circonstances. La g’angTène des parties molles,
qu on observe souvent, n’est pas la suite oblig*ée des dépla-
cements anciens. Mais, même en admettant que la persis-
32 —
Lance du déplacement soit la source d'une infinité d'acci-
dents plus ou moins g^raves, faut-il dans tous ces cas
opérer? Nous ne pourrions, sans nous répéter, parler de la
gTavité d’une extirpation meme tardive, ou d’une ampu-
tation qui est plus dang’ereuse encore. Nous sommes per-
suadé, en effet, qu’il reste encore quelque chose à faire
avant de s'armer du bistouri, et nous résdrverons ce
moyen pour les cas rebelles, bien déterminés, qui forment \
seuls une catég’orie distincte des faits auxquels nous fai- |
sons allusion.
C'est ici que la prothèse est destinée à rendre de véri-
tables services. Car, après le deg’ré de perfection que l'art j
prothétique a atteint, on est en droit d'en espérer les plus
g’rands avantag’es. Nous croyons qu'il serait imprudent
de recourir de prime abord aux moyens cbirurg’icaux.
Et c’est précisément lorsqu’un malade est frappé d'une
luxation déjà ancienne, lorsque l'irréductibilité est absolue,
lorsque les fonctions sont devenues pénibles ou presque
impossibles, qu’il convient d’essayer des moyens prothé-
tiques. Si, comme nous l’avons constaté, les fonctions du
membre, la marche presque normale, ont pu être rendues
au malade, à plus forte raison doit-on chercher le secours
de la prothèse pour ces cas anciens et où la marche ne peut
se faire qu’avec des appuis. C'est ce que l’on à réalisé par
trois ordres de moyens :
1° Certains appareils s’adaptent à toute l’étendue du
membre inférieur, et prennent un point d’appui sur
l'ischion.
2° D’autres appareils, moins volumineux et moins com-
pliqués, n’embrassent que le g’enou.
3" Enfin il en est qui ne s’appliquent absolument qu’au
cou-de-pied. Nous en avons trouvé un exemple dans l'ob-
servation lY. On ne nous demandera pas, sans doute, de
décrire ces divers appareils, dont la disposition est subor- ,
donnée aux circonstances individuelles du malade. Mais il
n’est pas indifférent pour nous de montrer que tous ne
peuvent convenir àtous les cas. Il faut savoir que tel appa-
reil convient à des circonstances déterminées , et seule-
ment à celles-là : les autres, dans les memes états, pou-
vant être plus nuisibles que secourables.
Lorsque nous avons donné l’observation nous avons
à dessein sigmalé un détail qui, au premier abord, pou-
vant paraître insig-nifiant; nous voulons parler de la diffé-
rence de long’ueur des membres que produisent les luxa-
tions. Chez le malade de l’observation î, le raceourcisse-
ment est si peu accusé, qu’il a suffi à cet homme d’élever
à peine de 0,005 millimètres le talon eorrespondant de sa
chaussure, pour rétablir l’équilibre entre les deux articu-
tions coxo-fémorales. Mais le fait le plus important n^’est
pas là, il réside, au contraire, dans l’amélioration que cet
homme a su apporter à un membre défectueux, difforme.
Lamarche, qui est gênée, mais non point diffieile lorsque
le malade est nu-pied, la marche devient pour ainsi dire
normale quand le malade a chaussé son appareil, car son
soulier, façonné à la forme actuelle du pied, constitue
vraiment un appareil.
Tel est donc le moyen, facile entre tous, qui convient
aux variétés de cas analogues. Mais hâtons- nous d'’avouer
que ce moyen si simple trouve rarement son application,
en raison même de la rareté de tels cas. Il faut, pour satis-
faire à son indication, le eoncours d’une multitude de cir-
constances. Parmi elles, la plus importante, la plus indis-
pensable, cellequi domine toutes les autres, c’estPabsence
complète de g’êne de toute nature, quand le malade appuie
son pied à terre. Il faut, si l’on peut ainsi dire, que le ma-
lade soit à peine incommodé de marcher les pieds nus
Du Bourg.
3
— 34 —
afin que son appareil lui soit vraiment utile et qu"il soit
capable de rélablir l’usag'e du membre presque à Tég’al de
l’état normal.
II
Mais il est d’autres circonstances où le malade ne saurait
pied sur le sol. La moindre pression y déter-
mine alors des fourmillements ag*açants, et le plus souvent
une douleur plus ou moins vive, réveillée surtout par la
station debout et siégeant au niveau du calcanéum. Cette
douleur s’irradie vers la jambe et dans toute l’étendue du
pied ; si bien que le malade se garde prudemment de
marcher, conjurant ainsi le retour de ses souffrances.
On ne saurait donc, dans le cas actuel, recommander
l’usag’e du soulier, uniquement destiné à corriger une
position vicieuse et à faciliter la marche.
Il faut donc nécessairement recourir à un autre appa-
reil d’un autre ordre. 11 y en a deux espèces. Les uns
s’appliquent au genou, les autres se substituent au mem-
bre tout entier ; ces derniers prennent leur point d’appui
sur l’ischion.
L’appareil destiné à être appliqué au g’enou représente
assez exactement un pilon ^ dont il porte d’ailleurs le nom.
L’une de ses extrémités est élargie en cupule, qui emboî-
tera le genou. Elle est g’arnie de coussinets, dont l’unique
rôle est de prévenir les accidents que la pression de l’ap-
pareil pourrait faire naître dans l’articulation fémoro-
tibiale.
Quand le malade veut marcher avec cet appareil, il
courbe son membre presque à angle droit ; puis il fixe
l’appareil et le membre dans cette position. Cette situa-
tion convient non-seulement lorsque le pied ne peut s’ap-
puyer à terre, mais dans quelques circonstances il suffît
à faire disparaître presque subitement l'état douloureux
- 35 ~
que provoque la seule verticalité de la jambe, que le ma-
lade soit assis ou debout. Loin de nous cependant de
croire que cet appareil soit parfait. Si quelquefois, dans
certains cas donnés, son utilité est incontestalile, les daii-
o’ers dont il menace le membre ne doivent le faire choisir
O
que quand il n’y a pas mieux à trouver.
Il est possible, en effet, qu’à la suite d’un long* usage
il survienne de graves complications, telles qu’une roi-
deur lente de l’articulation fémoro-tibiale consécutive à
la pression qu’elle supporte; une position vicieuse du
membre nous paraît encore po'uvoir provenir d’une ré-
traction musculaire lente à se produite, il est vrai, mais
qu’il ne serait pas impossible d’observer.
ni
Enfin on a imag’iné un troisième modèle d’appareil
prothétique, destiné aux malades qui ne peuvent suppor-
ter ni le premier que nous avons mentionné, ni surtout
celui qui s’adapte au genou. Ce troisième modèle, d’ail-
leurs fort ingénieux, est constitué par une jambe artifi-
cielle, à pièces mobiles, articulaires, et en tout semblable
à ces jambes que l’on fait prendre aux amputés de cuisse
el quelquefois de la jambe. 11 offre des avantages incontes-
tables sur les deux autres, en ce qu'il ne prend aucun
point d’appui sur le membre malade, mais uniquement
sur l’ischion. Il évite ainsi à ce membre une fatigue pré-
coce en le soustrayant à la nécessité de prendre une part
active à la progression.
Tels senties remarquables avantag’es que nous présen-
tent les appareils prothétiques dans le traitement des luxa-
tions sons-astragaliennes anciennes. S’ils ne peuvent suf-
fire à tous les cas et accroître le nombre des guérisons ,
ils sont néanmoins fort au-dessus encore des autres
— 36 ~
moyens cJiiriirg’icaux : unipuLalion, résecLions partielles,
ou extirpation, quelque nombreux d’ailleurs que soient
les succès fournis par ees opérations.
Nous venons de faire entrevoir que les appareils prothé-
tiques et les divers moyens artificiels sont, parfois, fort
éloig’nés de donner des résultats satisfaisants. C’est qu’en
effet il se présente des cas où non-seulement ils échouent
complètement, malg’ré la variété et le nombre des essais,
mais dans quelques-uns ils ne font peut-être qu’ag’g'raver
la situation. Si les faits que nous avons étudiés jusqu’ici
ont une certaine rareté, il n’en est plus de même de ceux
que nous allons examiner à présent.
IV
Lorsque nous avons passé en revue les déformations
auxquelles donnent lieu les luxations sous-astrag’aliennes,
nous avons cru devoir g*arder le silence sur les accidents
sérieux qu’elles entraînent à leur suite, dans un terme-
plus ou moins éloig'iié. Jusqu’ici, en effet, nous ne nous
sommes occupé que des difformités et de leurs indications.
Mais il estdes circonstances où les luxations sous-astrag'a-
liennes commandent l’intervention chirurgicale. Ce sont
ces circonstances qui forment notre troisième catég’orie :
les infirmités. Et il nous a paru plus juste déplacer immé-
diatement avant leurs indications l’histoire des accidents
consécutifs survenant à long’ue échéance.
Lorsqu’une luxation sous-astrag’alienne est établie, les
conséquences immédiates de sa formation sont : \e, refou-
lement des parties molles périphériques par la tète de
l’astrag’ale \ \di compression que cet os exerce sur \üi,peaii,
sur les tendons, sur les vaisseaux et sur les nerfs. Enfin une
fracture de l’astrag’ale (col), la cassure des malléoles ou du
tibia et du péi’oné à des hauteurs variables constituent
— 37 —
des phénomènes contemporains de la luxation ; tous phé-
nomènes c[ui dépendent de son déplacement.
Mais nous n’avons à examiner ici que les accidents sur-
venus à une époque déjà eloig’nee de 1 heure de ces déla-
brements 5 déjà des mois, des années, se sont écoulés. Dans
de pareilles conditions, un malade difforme, indemne de
tout accident, est une heureuse, mais trop rare excep-
tion. Aux trois faits connus nous en avons ajouté un
quatrième précédemment.
Ordinairement, après un temps variable, la peau qui
coiffe la tête astrag’alienne est devenue plus brune, plus
foncée. Elle prend une couleur violacée dans toute l’éten-
due ou par places: c’est assurément un indice de circula-
tion défectueuse. Le mauvais état de nutrition de cette
partie du tégaiment ne tarde pas à manifester son effet.
C’est alors que, par la moindre cause, et quelquefois
même sans qu’on puisse deviner pourquoi, la peau se
mortifie, une eschare tombe et laisse à découvert différents
org’anes, suivant la profondeur que le sphacèle a atteinte.
Dans les cas ordinaires, cette g’ang’rène a détruit toute
l’épaisseur des parties molles, de telle sorte que les os du
tarse ou du moins l’astrag’ale sont mis à nu. Ils devien-
nent le siège d’une continuelle exfoliation. Le danger est
.grande car l’articulation du cou-de-pied, l’une des plus
vastes, est ouverte ; exposée à l’inffuence de l’air, elle
peut devenir le foyer d’une suppuration désastreuse. Mais
il n’en est pas toujours ainsi. Dupuytren cite un cas où
la gangrène n’envahit que la peau seule. (Dupuytren, Le-
çons orales.)W n’est pas nécessaire d’insister plus long’ement
sur ces sortes d’accidents, et dont tout le monde connaît
les dangers auxquels expose l’ouverture d’une articula-
tion, surtout quand elle est aussi large.
Parmi les complications qui peuvent provenir de la com-
pression des parties molles par la tête de l’astragale, il
38 -
füut rappGler celles f[iii surviennent après le refoulement
des tendons. Leur rupture, leur sphacèle sont possibles.
Lorsque la luxation appartient à la variété des sous-astra-
g’aliennes, l’action de l’astrag’ule sur les tendons voisins
est pour ainsi dire nécessaire ; dans la variété interne^ l’ac-
tion de ces os s’exerce surtout sur l’extenseur commun
des orteils. A ce moment, l’extension libre des phalang*es
est à peu près impossible, ainsi que leur élévation. La
flexion active du. pied est encore tout à fait possible, mais
elle est quelquefois assez limitée. En même temps les or-
teils sont portés en dehors, et comme l’action de l’exten-
seur commun s’exerce secondairement sur le pied pour
le fléchir, le bord externe de celui-ci se porte en valg*us;
eet état devient permanent si la luxation est irréduc-
tible. Il est possible enfin que la violence de propulsion ait
déchiré les tendons du premier coup, au lieu de les refou-
ler simplement.
Dans la variété des sous-astrag*aliennes en dehors, deux
muscles surtout sont atteints. C’est d’abord le pédieux. Il
est déchiré, car l’aponévrose dorsale du pied est toujours
rompue. Mais les principaux accidents portent sur le jam-
bier postérieur et sur les péroniers.
Le jambier postérieur est atteint par la déviation de l’as-
trag’ale, au moment où il se réfléchit sous le tubercule
interne du scaphoïde. Voilà pourquoi, à la suite de son
soulèvement, l’adduction du pied et sa rotation ne peu-
vent plus être exécutées par ces malades. Voilà pourquoi
le bord interne du pied est ordinairement relevé en varus,
l’avant- pied dévié en dedans.
Enfin on aég*alement noté le déplacement des péroniers
sur la partie postérieure du col de l’astrag'ale, dans un
cas de luxation sous-astrag’alienne en dehors (observation
de M. Després, Bull, de la Soc. de chir., 3' série, t. 1,
Paris, 1872).
39 -
Dgs désordrGS d’uiiG autre nature peuvent etre l6 re
sultat de ces luxations. Nous avons déjà fait allusion aux
troubles que peut éprouver la circulation quand nous
avons examiné les accidents dont la peau est le siég*e. Il
arrive quelquefois, en effet, que 1 artere tibiale postérieure
est comprimée ou déchirée j il en est de meme de 1 ante-
rieure. Et pourtant les conséquences qui sembleraient
devoir suivre cet accident ne sont pas mentionnées , on
n’a jamais observé, à leur suite, lesphacèle en masse du
pied; mais presque toutes témoig*nent d un vice de nutri-
tion plus ou moins accusé dans le membre qui a subi le
traumatisme.
Là ne se bornent pas les effets de compression. Ils peu-
vent porter sur les faisceaux nerveux. C’est principale-
ment le nerf tibial postérieur qui subit cette pression. Sa
situation, en effet, lui donne la triste priorité. Cette com-
pression est pour le malade une source d’accidents dont
la douleur est la manifestation principale. Parfois c’est ’
une douleur vag*ue , profonde, qui cesse par intervalles
et revient chaque fois que le malade veut faire u.sag’e de
son membre. Parfois c’est une douleur d’une telle inten-
sité, qu’elle arrache au malade des cris continuels. Ces
souffrances enfin peuvent persister sans laisser au malade
aucun intervalle de repos. Aucun moyen ne lui peut four-
nir de soulag-ement ; il réclame à g’rands cris qu’on le dé-
livre d’un membre qui à l’inutilité ajoute des tortures in-
tolérables. C’est dans un cas de ce g’enre, dont je vais
donner la relation , qu’aucun moyen ne pût rendre la
tranquillité au malade ; ni les massag’es, ni les débride-
ments, ni une résection (très-minime), ni un appareil pro-
thétique n’ont pu mettre un terme à une douleur qui née
avec la luxation, a persisté pendant treize mois, pour ne
finir qu avec l’extirpation de l’astrag'ale. En effet, chaque
fois que le malade appliquait son appareil (c’était un pilon),
40 —
il ressentait des douleurs plus vives encore que quand il
avait la jambe libre. C’était donc un cas où l’appareil, au
lieu d’être utile, ag*g*ravait, à vrai dire, la situation.
Telles sont en peu de mots les suites éloig-nées possibles
que peuvent amener les luxations sous-astrag’aliennes ,
restées irréductibles après tous les efforts pour y remédier.
Qu’il y a loin, de ces états, pour ainsi dire bénins, que
nous étudions plus haut, aux cas qui se présentent dans
les conditions nctuellement en vue. Et si, auparavant, la
situation du malade prescrivait impérieusement de pré-
férer aux moyens chirurg*icaux l’application des moyens
parfois vraiment heureux ici, que faudra-t-il faire? Et, s’il
faut une opération, à quel g*enre le chirurgnen devra-t-il
donner la préférence ?
Les moyens curatifs sont multiples assurément, mais
ils sont loin de g’arantir ég^alement la sécurité présente et
les avantag’es pour l’avenir. Nous nous proposons donc
d’examiner maintenant l’un d’eux, V extirpation de l’astra-
g’ale, appliquée aux infirmités que' développent les luxa-
tions sous-astragaliennes anciennes. C’est à cette méthode,
justement appelée tardive^ que mon excellent maître, M. le
professeur Verneuil, n'hésite pas à donner la préférence
dans les conditions que nous avons établies. Nous espérons
montrer, surtout par des exemples, que cette préférence
est juste et méritée. Car le succès de l’opération a été com-
plet. D’ailleurs, quelques circonstances que l’on envisage,
c’est encore Y extirpation tardive qui a réuni les plus nom-
breux succès, triomphé des cas les plus rebelles, les plus
gTaves. Mais les exig’ences de notre travail nous ont
oblig'é à une grande sobriété ; et nous avons du, parmi
les faits publiés d’extirpations tardives de l’astragale, ne
choisir absolument que les faits analogues à ceux qui ont
inspiré cette étude. On nous pardonnera de détailler l’ob-
servation que nous avons recueillie dans le service de no-
tre maître ; nous terminerons notre étude par les autres
faits que nous devons à l’extrême oblig’eance de M. Broca.
Observation V.
(Service de M. le professeur Verneuil.)
Duhaut (Louis), âg’é de 53 ans, ferblantier, est entré à
riiôpital de la Pitié, dans la salle Saint-Louis, lit n° 55. —
(Personnelle).
Luxation sous-astrag’alienne en dedans, avec déchirure
des parties molles au niveau de la tête de l’astragale, qui
fait issue en dehors. Fracture du péroné. Pied droit.
Firj. ;î (avant l’opération'.
1. Tumeur formée par l’astragale.
2. Cicatrice ancienne.
:i. Plaie avec fistule profonde.
h. Trajet fistuleux.
• Homme fort, très-robuste, pas d’antécédents patliolo-
ffiques. Il y a deux ans, décembre 1871 , comme il descell-
ait un escalier, il g-lissa. En cherchant à se retenir, la
pointe du pied s'arcboula contre la saillie d’une marebe.
— 42 -
Le malade tomba; mais s’étant relevé, il ne put s’appuyer
sur son pied, qui se renversa en dehors, et il retomba.
Obligé de se coucher, il vit bientôt le cou-de-pied gonfler
considérablement. Ce ne fut que trois jours après que le
malade envoya chercher un médecin ; on fit des tentatives
de réduction restées inutiles; on prescrivit des compresses
résolutives’; au cinquième jour, appareil inamovible.
Douze jours après, le malade ressentit dans le pied, des
douleurs tellement violentes, qu’on dut lever l’appareil.
Fig. 4 (après l’opération).
1 . Cicatrice de l’incision faite au moment de l’opération.
On vit alors très -nettement la tête de 1 astrag*ale qui
s’était fait jour à travers les téguments déchirés au niveau
du bord interne du pied; sur-le-champ, on résèque la
portion extérieure de cet os; mais, à dater de ce moment,
la plaie faite par l’issue de l’astragale ne s’est jamais cica-
trisée .
Le malade garda le lit pendant treize mois. On 1 ui applique
alors un pilon, et il peut reprendre son travail. - Cepen-
dant les douleurs du pied ne cessaient pas ; accrues par la
marche et les plus légers mouvements du malade, elles
diminuaient à peine d’intensité la nuit. Le joui, ® P®
enflait rapidement aussitôt que le malade commençait a se
— 43 —
mouvoir; mais ce g’onflement disparaissait promptement
la nuit quand le malade était couché. ^ ^
C’est après onze mois passés dans cet état, c est-à-dire
deux ans après l’accident, 28 décembre 1873, que le ma-
lade rentra dans le service de M. Verneuil, à la Pitié,
gTande salle Saint-Louis, n° 55.
L’exploration de la rég-ion fait reconnaître à M. Verneuil
la fracture du péroné à 0,05 centimètres au-dessus de la
malléole externe, l’immobilité absolue de Pastrag-ale soudé
au péroné et au tibia, la saillie de la tete de cet os sous les
tég’uments; il porte le diag'nostic de:
Luxation sous-astrag*alienne en dedans.
En effet :
Le pied est fortement renversé en valgiis et dans 1 ab-
duction forcée. Le bord interne est déformé par une saillie
volumineuse qu'’on reconnaît être la tête de 1 astrag’ale :
cet os a conservé ses rapports normaux avec la mortaise
tibio-péronière. A ce niveau, la peau est tendue, luisante,
violacée tout autour d’une ulcération fong-ueuse g-rande
comme une pièce de 1 franc, et qui répond exactement à
la tête de l’astrag^ale.
En dehors et en avant de la malléole externe, se trouve
une dépression très-marquée au-dessus du calcanéum qui
fait saillie au fond de cette fossette.
La malléole interne est aussi très-marquée. On recon-
naît aussi très-nettement rastrag*ale qui déforme le bord
interne du pied. 11 a ses rapports normaux avec le tibia,
mais le calcanéum est fortement déjeté en dehors.
Enfin, les mouvements d’extention et de flexion sont
très-limités, ils sont douloureux. Les mouvements d’ad-
duction et d’abduction sont absolument supprimés. On
aurait pu croire à une luxation double.
L’ancienneté de la lésion et surtout l’état dans lequel se
— 44 —
trouve le malade, eng-ag’ent M. Verneuil à tenter l’extirpa-
tion de l’astragale plutôt que l’amputation de la jambe.
La netteté de ce cas, la persistance de la douleur et du
g’onflement dont se plaigaiait cet homme, l’état d’un mem-
bre d’ailleurs très-sain, mais inutile et insupportable, à :
l’endroit duquel tous les moyens avaient échoué, indi- ’
quaient nettement qu’il fallait intervenir. M. Verneuil se
décida sur-le-champ à pratiquer l’extirpation de l’astra-
g’ale. — Les circonstances étaient favorables du côté du
malade, résolu et doué d’une constitution robuste. En
outre, il ne se trouvait pas dans les circonstances ordi-
naires des luxations sous-astragaliennes.
Il fallait dégag^er et l’artère et le nerf tibiaux posté-
rieurs.
M. Verneuil envisageant ensuite les suites probables de
cette opération, nous annonça qu’il se ferait peut-être une
ankylosé entre les os de la jambe et le calcanéum, qu’il
resterait peut-être aussi quelque léger mouvement dans le
pied, mais, dans tous les cas, que le malade jouirait d’un
membre utile, et qu’il pourrait fort bien marcher ainsi.
L’opération eut lieu le 24 novembre 1873.
Le malade fut anesthésié par le chloroforme. — Un ap-
pareil hémostatique dont les succès étaient annoncés
comme dépassant toute prévision, et qui, à peine né, faisait
déjà grand bruit dans le monde chirurgicaL l’appareil
d’Esmarch, fut appliqué pour la première fois dans cette
opération. — Il est en dehors des bornes que nous nous
sommes assignées d’apprécier la valeur de cette décou-
verte; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il justifia
pleinement le renom dont il jouissait i car, dans une opé-
ration telle que celle-ci, c’est à peine si une cuillerée de
sang fut répandue. En présence des procédés anciens,
celui-ci donnait donc les plus légitimes satisfactions et ^
calmait la crainte d’une effusion trop considérable. Voici
le manuel opératoire que suivit M. le professeur Verneml.
Il se divise en deux temps :
V'" temps. — Incision, courbe en avant, pi’atiquée a la
face interne de l'articulation tibio-tarsienne. Deuxieme in
cision, horizontale, partant delà première et dirig’ée vers
la malléole externe, et passant au devant du lig’ament an~
nulaire antérieur du tarse, llaitre ces deux incisions, on
dissèque deux lambeaux : un supérieur, un inférieur. Pour
conserver leur vitalité, M. Verneuil leur donne toute I e-
paisseur des parties molles et met ainsi les os du tarse à
découvert.
On introduit ensuite un instrument mousse, en arrière
de Tastrag'ale afin de couvrir ainsi le paquet vasculo-
nerveux, contre les atteintes du bistouri.
M. Verneuil commence alors à énucléer l’astrag’ale de
son périoste, il extrait l’os par frag'ments, deux petits,
l’autre volumineux. Mais ce dernier offre de g-randes dif-
ficultés pour l’extraire,— On aperçoit alors, au fond d’une
vaste cavité, et en arrière, l’artère et le nerf tibiaux pos-
térieurs, intacts. C’était le but du premier temps heureu-
sement terminé.
2® temm. — lledressement du pied. — Ce temps a été
compliqué d’une difficulté qui a rendu l’opération assez
laborieuse. Le redressement du pied n’a pu être obtenu
immédiatement après l’extirpation de l’astrag'ale. Et,
afin de donner au pied une bonne position, il a fallu frac-
turer le péroné. M. Verneuil a donc du effectuer une ré-
section de la malléole externe ; il a fait une incision suivant
la direction du péroné; puis ayant détaché le périoste, il a
réséqué 4 centimètres environ du péroné.
A ce moment on a essayé à nouveau le redressement du
pied, mais les plus g’rands efforts ne purent y réussir. On
s’aperçut alors que le tibia et le péroné étaient réunis à
-46 —
leur extrémité inférieure por une synostose considérable.
Il fallut diviser cette symphyse avec la scie; puis, pour ré-
tablir l’équilibre entre les deux os de la jambe, on a aussi
réséqué l’extrémité inférieure du tibia. C’est alors seule-
ment que le redressement du pied a pu être opéré. La
durée de l’opération fut de 45 minutes.
Après ï opération. — Drain allant de l’un à l’autre côté du
pied. Deux attelles pour maintenir le redressement du
pied, l’une interne, l’autre postéro-plantaire embrassant
la jambe et le pied. Pansement ouaté.
Suites de ï opération. — Une petite complication s’est pro-
duite quelques heures après l’opération : c’est unehémor-
rhag’ie veineuse assez abondante. Nous n’avons pas à
étudier ici les causes de ce phénomène, qui rentre dans
cette classe de faits que M. Claude Bernard a étudiés 'dans
ses expériences sur les nerfs vaso-moteurs. Mais il nous
semble qu’on peut l’attribuer à l’application du bandag'e
hémostatique. Nous ayons assisté, dans différents services,
aux applications de cet appareil et chaque fois nous avons
pu noter qu’une hémorrbag’ie, veineuse, s’est produite à
une distance variable de l’opération, mais toujours quel-
ques heures après. Quoique ce petit accident n’ait présenté
jusqu’ici aucun caractère de g*ravité, du moins à notre
connaissance, il y a là un fait qui pourrait bien faire
pressentir un antag’onisme entre l’appareil d Esmarch et
le pansement ouaté. Nous ne voulions ici que signaler le
fait; à d’autres le soin de dire ce qui adviendra.
Nous avons scrupuleusement suivi l’état du malade
jusqu’au mois de février. — Des douleurs intenses appa-
rurent vers le dixième jour depuis 1 opération mais elles
ont facilement cédé à l’administration du sulfate de qui-
nine (0,50 c.). Depuis lors peu de faits importants à signa-
ler. _ Le pansement ouaté fut levé une première fois au
47 —
dix-huitième jour : une deuxième fois au trente- sep-
tième. La plaie avait chaque fois un aspect excellent. A
partir de ce dernier terme, on fit le pansement à 1 alcool
phéniqué : deux irrig’ations d’eau tiède chaque jour. Quel-
ques fusées purulentes se sont montrées dans les gaines
tendineuses voisines. — Les moindres accidents étaient
accusés par le thermomètre.— Au quatre-vingtième jour
on enlève une partie du drain, l’autre fut laissée jusque
vers la fin du mois d’avril.
Cependant, la cicatrisation de la plaie de la face externe
a été lente à s’effectuer. La névralgie, qui avait apparu
au début de l’opération, se montra de nouveau assez in-
tense (avril); elle a duré un mois; elle a cédé à fusage
. des bains sulfureux et à l’administration de fhyosciamine
(0,05 mill.) en potion. — Au mois de mai, sixième après
l’opération, le malade marchait avec des béquilles et pou-
vait poser son pied sur le sol. Au mois de juillet, il ne se
servait plus que d’un bâton. — Duhaut quitte l’hôpital au
mois d’octobre 1874, pour aller à Vincennes.
Etat actuel du pied. — Le pied est dans une bonne po-
sition ; il n’est plus douloureux. Les cicatrices sont bien
fermées : mais il reste une atrophie assez notable de ce
côté. Les mesures comparatives des deux jambes et des
deux pieds nous ont donné les résultats suivants :
Pied gauche* sain.
Longueur du pied d’avant en
arrière 0,‘25
Pied droit opéré.
Largeur au niveau des orteils ... 0,10
Largeur en arrière 0,061/2
Tibia 0,38
Péroné 0,39
11 reste donc, avec une légère atrophie du pied, un
faible raccourcissement du membre opéré; mais on a pu
corriger assez exactement la différence des deux membres*
par une chaussure à talon élevé.
Eq somme, si l’opération a présenté quelques difflcultés
inattendues, ses suites ont été très-satisfaisantes et le ré-
sultat définitif est venu très-lieureusement Justifier ce que
M, Verneuil attendait d’elle. Ce résultat est d’autant plus
avantag'eux, qu’en outre de la g’uérison, qui a couronné
cette opération si considérable, il offre encore trois parti-
cularités très-importantes et que nous ne saurions laisser
dans l’ombre.
1“ L’application du bandag*e hémostatique d’Esmarch a
eu une long“ue durée. La circulation dans le membre infé-
rieur aété suspendue pendant quarante-cinq (45) minutes.
Il est à remarquer, qu’en outre de l’hémorrhag'ie veineuse
que l’on retrouve dans les cas d’une durée très-minime, il
ne s’est produit aucun accident consécutif.
2° On a pratiqué l’extirpation de fastrag’ale; cette opé-
ration s’est heureusement terminée sans aucune lésion
d’org’anes importants, tels que l’artère et le nerf tibiaux
postérieurs,
2° Une symphyse, imprévue, entre les deux os de la mor-
taise tibio-péronière, a nécessité une résection de l’extré-
mité des deux qui la constituent.
Ce fait est remarquable et l’un des premiers que l’on ait
pratiqués dans les circonstances que nous examinons.
Nous ne nous arrêterons pas à citer les nombreux succès
que la résection sus-malléolaire enreg’istre chaque jour,
depuis les mémorables recherches et expériences de M. Ol-
lier, de Lyon. Ils ont été judicieusement étudiés et pré-
sentésavec beaucoup d’intellig-ence par l’un de mes meil-
leurs amis, le D*' Francisco Echeverria (du Chili), dans
le courant de cette même année. (Thèses de Paris,
août 1874.)
Les chirurg*iens, à l’unanimité, reconnaissent aujour-
d’hui la g-rande valeur de l’extirpation de l’astrag'ale dans
les luxai, ions anciennes ; la supériorité très- notable de cette
opération sur celles que l’on a fait subir dans les mêmes
cas, ne saurait être mise en doute.
Cette opération , appliciuee aux luxations sous-astiag’a-
bennes, est de date récente. Il n’en existe non plus encore
que six cas. Le nombre restreint des documents que nous
possédons, g'i'âce a l extreme obligeance de M. le piofes-
seurBroca, ne nous autorise pas a dresser une statistique
définitive. Car, ne possédons-nous peut-être que les succès
qui ont été obtenus, tandis que, comme il arrive souvent,
les auteurs auront jeté dans l’ombre les cas malheureux.
Cependant, dans le petit nombre de faits que nous avons
pu découvrir, toutes les tentatives ont été heureusement
couronnées par le succès. Et cela suffît déjà pour dé- ^
montrer la valeur considérable de l’extirpation tardive de
l’astrag’ale.
Nous ne sommes pas le premier à mentionner ces ré-
sultats. Déjà M. Broca, en 1852, témoig-nait des résultats
heureux que bon était en droit d’attendre de l’extirpation
tardive appliquée aux anciennes luxations sous-astrag*a-
liennes non réduites.
Il écrivait alors dans ia Gazette des hôpitaux: «Cinquante-
deux sujets ont subi l’extirpation de l’astrag’ale (extirpa-
tion consécutive); dix sont morts. Faut-il pour cela
abon donner l’extirpation de l’astrag’ale et lui préférer
l’amputation sus-malléolaire? Telle n’est point notre
pensée.
Lorsqu’un malade échappe à l’amputation de la jambe,
on peut dire qu’il n’est pas mort, mais on ne peut pas dire
qu’il soit guéri. Quelques progrès qu’aient faits les moyens
prothétiques, jamais cet amputé ne pourra reprendre les
travaux pénibles, ni la longueur des marches; car l’ampu-
tation sus-malléolaire est seule en cause ici. Et puis, en
Du Bourg. 4
— 50 —
dehors de loiiLe perte fonctionnelle, n’esL-il pas triste d’etre
mutilé?
L’extirpation de l’astrag'ale, au contraire, permet la
conservation du membre. L’ankylose, quoique presque
inévitable du cou-de-pied, n’empêche pas le malade de ]
marcher, de recouvrer sa force et son ag'ilité. C’est ce qui |
a lieu dans le plus grand nombre des cas. Le renversement
consécutif du pied peut être évitépar un traitement convena-
ble, et il ne reste qu’ une difformité très-lég’ère, quelquefois
inappréciable. Et pour obtenir ce résultat, quel est le malade
qui ne consentirait pas à courir les chances d’une opération
plus grave que l’amputation ? Or il n’est pas encore dé-
montré que l’extraction de l’astragale soit plus grave que
l’amputation sus-malléolaire. Car on ne possède pas des
relevés suffisants sur cette opération pratiquée à la suite
d’un traumatisme ancien. » Gazette des hôpitaux; Paris,
13-22 juil. 1860.
Depuis cette époque les choses ont marché, et quelques
faits sont venus s’ajouter aux autres. Toutes les extirpa-
tions tardives, appliquées à des cas anciens, fournissent
autant de guérisons que d’opérations. Dans les observations
que M. Broca a colligées, il y a eu dix-sept opérations con-
sécutives, seize ont très-bien et promptement guérij un seul
a dù subir postérieurement l’amputation, et il a guéri (1).
Cette opération est donc aujourd’hui 1 une des plus heu-
reuses que le chirurgien puisse pratiquer. Ce qui ne veut
pas dire que l’on soit exempt de dangers, car cette opéra-
tion n’en reste pas moins une opération très-grave. Et à
ces succès nous sommes heureux de joindre celui qu a
obtenu dans le courant de cette année notre excellent
maître, M. Verneuil.
Voici d’ailleurs quelques observations qui rentrent en--
tièrement dans les vues de notre sujet, et qui suffiront ai
(1) Broca. Loc. cit.
— 81 —
montrer la
nous avons
maître.
g-rande valeur de l’opération ; opinion que
émise sous les auspices de notre excellent
Observation VI.
Luxation de l’astragale sans plaie. — Irréductibilité. Guérison. Néanmoins
extirpation de l’astragale.
M. Arnott montre un astrag-ale qu’il a enlevé par suite
de la luxation de cet os en avant et en dehors, avec deux
moules montrant le membre avant et après l’opération.
Un homme fut admis à Middlesex Hospital., étant tombé
de haut sur le pied droit. Il y avait inversion du pied dont
le bord externe touchait le sol; dépression remarquable,
saillie très-distincte à la partie antérieure et externe du
tarse. Sur cette saillie la peau était fortement tendue, en-
flammée et abrasée.
Il n’y avait pas de doute, l’astrag’ale était luxé en avant
et en dehors.
Tentatives de réduction au moyen du chloroforme :
extension, pression directe sur l’os, etc. On crut avoir
réussi, mais plus tard le g’onflement subsistant, on re-
connut que le membre était en aussi mauvais état qu’au-
paravant. Après quelque temps le membre étant faible,
distordu et presque inutile, on conseilla à cet homme de
se faire enlever l’astrag'ale. Il y consentit. Arnott (1) fit
l’opération. Pour séparer cet os du calcanéum, il éprouva
la plus g’rande difficulté; le lig’ament interosseux établissait
entre ces deux os une telle union qu’il fallut le déchirer en
tirant sur l’os avec un crochet et une poulie. L’issue fut
favorable, et le malade quitta l’hopital avec un membre
très-utile, le pied ayant parfaitement repris sa position
véritable.
(1) Cas d’ Arnott. Lond. med. Gaz., 1849. T. LXIIl (Société pathologique
de Londres, 15 janvier 1849).
— .S2 —
Observation VIL
i
Luxation de l’astragale avec plaie. — Aucune réduction. — Cicatrisation. — f
Grande difformité. — Extraction consécutive de l’astragale. 1
Femme de 33 ans, chute du quntrièmè; transportée sans
connaissance à la Charité. Fracture de l’humérus droit,
fracture du péroné droit au tiers inférieur avec luxation
complète de l’astrag’ale en avant et en dehors, et avec plaie
qui laissait voir l’astrag’ale. L’astrag’ale ne fut pas extrait^
et il ne fut pas réduit non plus (cela résulte du moins de
certains détails de cette observation, quoique cela ne soit
pas dit expressément). Néanmoins il y eut cicatrisation
parfaite; les fractures, bienréduites, se consolidèrent bien, i
mais le pied resta impropre à la marche. Six mois après sa
chute, peu de temps après sa sortie de la Charité, elle entra
à l’Hôtel-Dieu pour se faire amputer la jambe.
Etat du membre : pied en forme de varus très-pro- 1
noncé; sur la face dorsale une cicatrice inég’ale, une {
saillie volumineuse formée par l’astragale : marche très- }
douloureuse. '
Au lieu d’amputer la jambe, Dupuytren pratiqua l’ex-
traction de l’astragale. Incision cruciale sur la cicatrice.
Dessiccation de l’os : application d’un premier lacs sur la
tête de cet os ; puis d’un second lacs ; tractions nombreuses;
enfin l’astragale fut extrait. Les rédacteurs ajoutent que
l’extraction fut prompte et facile : ce qui est en contradic-
tion avec la description qu’il ont donnée de f opération. Peu
d’hémorrhagie ; aussitôt on redresse le pied sans difficulté.
— Linge troué. Pansement simple.
Voir dans l’orig*inal la suite de l’observation. Rog’iietta,
qui jusqu’ici a cité textuellement, continue ainsi :
« La réaction qui a succédé à cette opération a été assez ;
orageuse, mais enfin la plaie a pris une bonne marche, et
— 53 -
la malade a fini par g’iiérir en conservant le pied dans la
rectitude normale. Deux mois après l’opération, la malade
marchait parfaitement à l’aide d’un simple brodequin ayant
un talon élevé d’un pouce. »
6“ cas de Dupuytren [Leçons orales, t. II, 2“ édit., p. 10 à
19). (Cité dans Rog’iietta et Fournier Deschamps: Mémoire
sur ï extirpation de l' astragale, 1843, in-8°, p. 31.)
Observation VIII.
A. Luxation de l’astragale irréductible (sens dessus dessous). Aucune
plaie. Eschare. Cicatrisation sur l’os. Guérison par ankylosé complète.
B. Vingt jours après la guérison, extirpation de l’astragale sans aucun
prétexte.
James Bracewell, 27 ans, prisonnier à la maison de cor-
rection de Wakefield, entra à l’infirmerie de Leeds, service
de Smith, le 3 août 1830.
1®^’ jour.— La veille, à 3 heures, en montant sur la grande
roue pour la faire tourner, il rencontra une marche qui se
brisa, et son pied fut pris par la roue. Il ne put se relever.
M. Dann, chirurgien de la prison, essaya vainement, pen-
dant deux heures, de réduire les os, et envoya le malade
à l'hôpital.
2“ jour. — L’astrag^ale fait saillie au-dessus de l'extré-
mité antérieure du calcanéum. La plante du pied est tour-
née en dedans ; le bord externe dirig’é en bas ; deux sail-
lies, qui paraissent être les deux angies externes de l’as-
trag’ale (sic) soulèvent la peau. Tentatives de réduction
avec des poulies. Smith se décide à laisser les choses en
place, espérant qu’il y aura g’ang-rène, issue de l’astra-
g’ale, et articulation entre le tibia et le calcanéum. Cata-
plasmes.
.O*"’ jour. — Commencement de g’angTène sur la tumeur.
14® jour. — Elle s’accroît. — 30® jour. — La g’ang’rène
s accroît encore. — Constitution altérée, amaig’rissement;
grande faiblesse. — 41® jour. — La g’angrône est limitée;
vaste abcès à la partie interne du pied. Même état g-éné- I
rai. L’astragale n’est pas mobile; il ne se comporte pas
comme un corps étranger. On n*’ose pas l’enlever. ~
52“ jour.— L’abcès est presque fermé. Gérât. Amélioration
de l’état général.
58“ jour. — L’abcès suppure toujours : centre envahi.
61® jour. — Nouvelle eschare en avant de la première: ’
en aperçoit une articulation qui paraît être cetle de l’astra-
gale avec le scaphoïde. — 76® jour. — Granulations sur
l’os; elles couvrent bientôt tout l’os, et saigment au contact
du stylet : pas d’osselet. Affaiblissement général. — 92® jour.
— Plus de douleur; la santé revient; la plaie est presque
cicatrisée. — 122® jour. — La cicatrisation est complète.
Vingt jours plus tard, attendu que le malade ne pouvait
pas marcher sur le pied blessé, on rassembla, en consul-
tation, Charley, Hey et Smith, et on décida qu’on enlève-
rait l’astragale, sauf à amputer si cela ne réussissait pas. ,
(Enlever l’astragale d’un homme guéri ! Hey et Charley ^
complices de cette opération ! )
Opération. — Le 23 décembre 1830, quatre mois et vingt
jours après l’accident, Smith fit une incision cruciale sur
la saillie de l’astragale, disséqua le lambeau, et, après
une opération des plus laborieuses à cause de l’ankylose
solide qui unissait cet os à ses voisins, après s’être servi
de tire-fonds, de gouges, de leviers, le chirurgien finit par
avoir l’os. On trouva, pendant l’opération, qu’il était re-
tourné sens dessus dessous, comme dans le cas de Dupuy-
tren. Réunion avec des bandelettes.
3® jour de l’opération. — La réunion n’a pas réussi. Plaie
blafarde. Cataplasmes.
13® jour. — Boug’eons charnus. La plaie guérit. Cesser
les cataplasmes.
18® jour. — La brèche est comblée; les bourg-eons char-
nus débordent. Bandelettes ag’g'luti natives.
27® jour. — La plaie continue à marcher vers la g*ué-
rison. On peut presser partout sur le pied sans faire
souffrir le malade. Mais le pied est dévié; le bandag-e ne
suffit pas pour le redresser. On fait faire un soulier échan-
cré au niveau de la plaie, et on applique un appareil qui
prend son point d’appui sur le g*enou, afin d’attirer en
haut le bord externe du pied. On permet au malade de se
lever dans le jour; mais il ne peut mettre le pied à terre,
les muscles postérieurs de la cuisse étant raccourcis par la
rétraction.
Térébenthine sur les muscles.
52® jour. — Pied presque redressé. Un peu de varus.
L’usag’e du g*enou est presque entièrement revenu. On
donne une botte à double semelle. (On ne dit pas à quelle
époque la plaie fut g’uérie.) — 58° jour. — Raccourcisse-
ment d’un pouce. La botte à double semelle fait un bon effet.
Exeat (1).
Résultat. — Le 7 décembre 1831, le malade éciit: « Ma
jambe va beaucoup mieux; elle est assez forte pour que je
puisse marcher autour de ma maison avec Taide d’un
bâton. )'
Plus tard, Smith l’a revu; il pouvait marcher eu boitant.
Résultat définitif., p. 495-6 : Bracewell a une excellente
articulation en charnière entre le tibia et le calcanéum.
Observation IX.
Luxation de l’astragale. — Extirpation le 8® mois. — Guérison.
D G. AiV. S., 30 ans, nervoso-sang’uin, eut une fièvre
dans son voyag’e en Géorgie, en 1819. Il resta plusieurs
(1) 3« Cas de Smith, de Leeds. (Turner, On dislocation of astraaole loc.
cit., p. 414, observ. 23 de Turner.)
semaines clans sa chambre. Au commencement de sa con-
valescence, il faisait une petite course dans une voiture
ouverte, quand ses chevaux s’emportèrent. Ayant eu l’im-
prudence de s’élancer hors de sa voiture, il tomba sur son
pied g-auche, et se luxa l’astragale dam son articulation
avec le scaphoïde^ en haut et un peu en dehors.
Plusieurs médecins firent des efforts violents et inutiles
de réduction. Gela provoqua une fièvre violente, du gon- :
flement, de l’inflammation de l’articulation, et l’ulcéra-
tion de la peau, de telle sorte c[ue la tête de l’astragale fut
exposée à l’air et se caria. Cet accident retint le malade
dans sa chambre plusieurs mois encore. Au mois de juil-
let, six mois après sa chute, il vint à Colombie, à 150 mil-
les de là. Sa santé générale n’était qu’imparfaitement re-
venue. Son cou-de-pied était très-enflé, quelquefois dou-
loureux, et permettait peu de mouvements. Le pied tourné
en dedans était un peu étendu. Un ulcère circulaire, d’en-
viron trois quarts de pouce de diamètre, laissait voir la
tête cariée de Fastrag’ale. La marche se faisait avec des
béquilles. iLe pied malade ne pouvait supporter qu’un très-
làible poids. A. la fin de juillet, ayant fait plus d’exercice
que de coutume, le malade fut attaqué d’une violente in-
Uammation qui gagna tout le tarse, accompagnée de fu-
sion, d’un gonflement considérable, de douleur très-vive
et de fièvre intense.
Saignée g’énérale et locale : diète. Malga’é cela, au bout
d€' quelques jours une suppuration abondante s’établit et
r-it évacuée par de petits coups de lancette donnés sur les
côtés de l’articulation.
A ces violents symptômes succédèrent des phénomènes
liectiques. Troubles dig’estifs : de 4 à 6 onces de pus
par jour; rajiide amaigrissement. Au stylet, on recon-
naissait que l’astrag’ale était cariée en différents points.
Commie l’astragale paraissait seule malade, je me décidai
à l’Bnlever plutôt cjue de couper la jambe. O est ce cjue je
fis le 18 août :
Incision, commençant sur la plaie déjà existante près
du tendon de l’extenseur commun, dirig’ée obliquement
en bas et en arrière, de manière à dépasser l’extrémité
inférieure du péroné (1).
L’os fut soigmeusement séparé de ses attaches. Opéra-
tion très-facile. Aucun vaisseau à lier. La plaie resta ef-
frayante. Le pied semblait presque séparé de la jambe.
2®jour. — Peu de douleur. Quelques spasmes dans la
jambe.
3® et 4" jours. — État favorable.
5® jour. — Douleur sur le tendon d’Achille.
6° jour. — Suppuration abondante. Pas de douleur.
7® jour. — Troubles intestinaux. Opium.
.Jusqu’au 10® jour ces accidents s’ag’g’ravent. Prostration.
11® jour. — Amélioration. Granulations.
15® jour. — Appétit. Plaie en bon état. Suppuration mo-
dérée.
24® jour. — Va très-bien. A pu lire cent pag’cs in-octavo.
25® jour. — Quelques troubles intestinaux, après quoi
aucun accident n’entrave la convalescence.
45® jour. — Plaie cicatrisée.
Un an après le malade revient dans ma ville, marchant
sans difficulté ; cou-de-pied parfaitement sain. Jambe rac-
courcie d’au moins 1 pouce. Pour suppléer à ce défaut,
porte chaussure à talon haut.
Qu’est-il besoin d’ajouter après la lecture de ces obser-
vations? Joutes ne témoigment-elles pas hautement en fa-
veur de la supériorité de l’extirpation de l’astrag’ale dans
(1) 3= cas de Smith de Leeds (Turner, One dislocation of astragal, loc. cit.
p. 414, obs. 23 de Turner.
— 58 —
les luxations anciennes? Qu’importe qu’elles appartien-
nent ou non aux luxations sous-astrag-aliennes?
Néanmoins nous ne terminerons pas notre travail sans
donner, en présence des ces résultats, les conclusions aux-
quelles est arrivé M. Broca, dans son mémoire, que nous
avons déjà cité, lorsqu’il a comparé la valeur des divers
procédés opératoires. Mais, malheureusement la différence
est g^rande entre les faits qu’il a examinés et les faits spé-
ciaux dont nous nous sommes occupé, si l’on ne considère
que l’ancienneté de chacun d’eux. Sauf dans un seul cas,
je n’ai pas rencontré d’observations où l’on ait employé un
autre moyen que l’extirpation, quand on a eu affaire aux
accidents provoqués par une luxation ancienne.
L’amputation fut pratiquée après la résection d’une par-
tie de l’astrag-ale, et le malade g’uérit.
L’extirpation immédiate a été faite 36 fois. Il y a eu
9 morts.
L’extirpation consécutive a été pratiquée 16 fois, et en
plus notre cas. Sur 17 observations, 16 ont g-uéri de l’opé-
ration. Mais 1 opéré a dû supporter l’amputation de la
jambe; encore il est g’uéri. Les morts sont donc encore
nulles.
Parmi ces derniers faits sicc se rattachent spécialement
aux circonstances que nous avons recherchées et déter-
minées. A ces cas, nous joig-nons celui de M. le professeur
Verneuil. Donc 7 cas d’opérations, 7 g'uérisons. Ces chif-
fres eu disent assez par eux-mêmes et se passent de tous
commentaires. L’extirpation tardive telle que nous 1 avons
entendue est donc une operation qui réalisé les plus bril-
lantes espérances que le chirurgien puisse concevoir.
— 89 —
CONCLUSIONS.
Les luxations sous-astrag'aliennes anciennes peuvent se
terminer :
1° Par g’Liérison, sans opération. Elles ne constituent
alors qu’une difformité durable.
2° Elles peuvent développer des accidents à une époque
plus ou moins éloig*née, et elles produisent, dans ce cas,
des infirmités persistantes.
3° Les difformités, sans accidents d’aucune sorte, ne
réclament actuellement aucune intervention.
4® Les infirmités réclament toujours l’intervention.
Elles sont de deux sortes :
(a) Les unes peuvent g-uérir par la prothèse^ simplement;
(b) Les autres ne guérissent que par l’opération; dans
ce cas, c’est à ï extirpation tardive que nous donnons la pré-
férence.
5® L’extirpation paraît être d’autant plus avantag’euse
qu’on la tente à une époque plus éloigmée de l’orignne de
la luxation.
TABLEAU SYNOPTIQUE DES OBSERVATIONS CITÉES DANS CE TRAVAIL.
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